L'ENEIDE

L’Enéide reparaît dans une nouvelle traduction
eneide paul veyne virgile

« Timeo Danaos et dona ferentes »,
"craignez les Grecs quand ils font des cadeaux" (ils avaient fait cadeau du cheval de Troie!)

Tous les érudits lecteurs d’Astérix le savent... Mais sinon ? Longtemps que le poème fondateur de l’Empire romain a disparu, à défaut des bibliothèques, des mains mêmes de l’honnête homme qui en a au mieux conservé quelques traces obscures, obscures comme un cours de latin de seconde où entre professeur normalienne ratée à lunettes et Gaffiot de dernier recours, des adolescences se sont presque entièrement perdues...
Enfin Veyne vint, si l’on ose dire. Le professeur honoraire du Collège de France, qui, pour un lardon des années 2000 élevé parmi Potter et Elmer l’éléphant, paraît presque aussi vieux que son sujet, réussit le jouissif tour de force de donner une version nouvelle de l’Enéide qui ne soit pas chiante comme la pluie, faisandée comme Leconte de Lisle ou grotesque comme une Bible de chez Bayard. En un mot, c’est beau comme de l’antique... Enfin, M. Paul Veyne vient réparer une flagrante injustice de notre époque, je veux dire la romanophobie, qui fait préférer à tout un chacun les lamentables chants répétitifs de la destruction d’Ilion, ou les frasques du sordide Ulysse, le plus menteur de tous les hommes, aux filiaux élans d’Enée le pieux.



Au prétexte parfaitement oiseux que Virgile ne serait qu’un répétiteur du céciteux aède, doublé d’un flagorneur d’Octave, on délaisse ses pages sublimes d’où Didon (didon dîna dit-on du dos d'un dodu dindon) lance à tous les amants trahis du monde les cris les plus troublants, où le héros avait le droit d’insulter tous les dieux, surtout les déesses d’ailleurs, surtout sa mère en fait, la dissimulatrice Vénus. Ça se passait en Afrique du Nord en plus. Mais c’était l’époque où tous les petits garçons ne s’y appelaient pas Mohamed, où Eros prenait les traits d’Ascagne, où l’on prenait le doux vin dans des cratères d’or, quand les nuits s’étiraient comme l’amour dans des récits de combats sans fin.
C’était aussi l’occasion pour les Romains de moquer leur propre religion de branquignoles, en rappelant qu’ils ne croyaient pas le moins du monde à leurs divinités corrompues, mais que seule leur importait la dévotion à leurs pères et mères, et à travers eux, à leurs ancêtres, ceux qui leur avaient donné en plus de la vie la Ville. Ce bons Romains qui comme Veyne le rappelle étaient patriotes comme pas deux avaient fini par résoudre l’éternel problème de la guerre : plutôt que d’aller cogner le voisin irascible une année sur deux, ils l’avaient gentiment annexé. Et ainsi la Pax Augustiana s’étendant sur toute la terre vengeait Troie des Grecs perfides guerroyant. C’est de cela que Virgile est le poète, de l’âge d’or qui vient, et il est remarquable qu’il ait été écouté, qu’il soit l’un de ces rares prophètes du bonheur dont le chant ait coïncidé avec ce qui advenait. Car déjà la Vierge venait, et l’enfant miraculeux. Et peut-être le savait-il, car il était le Poète.
L'Enéide ravivée par Paul Veyne
François Busnel a lu la traduction de l'Enéide par Paul Veyne. Pour lui, le grand historien ne respecte qu'une seule chose dans son travail: l'amour de la littérature.

Sous la plume de Paul Veyne, Virgile devient donc l'auteur d'un authentique roman d'aventures. Ecrit en vers jusqu'au seuil de l'agonie par un poète moins obséquieux qu'on ne l'a dit (Paul Veyne réhabilite au passage la figure de Virgile, trop souvent dépeint comme un courtisan à la solde de l'empereur Auguste), l'Enéide devient ici un texte en prose. Loin des "hugolades" et des déclamations de style lyrico-pompier, Paul Veyne adopte une langue simple où chaque adjectif est pesé. Sa plume se fond avec celle de Virgile, au service d'une oeuvre qui, si elle reste moins belle que l'Iliade et moins ambitieuse que l'Odyssée, demeure un monument romanesque.
Enée, héros malgré lui, quitte la Turquie et Troie en flammes, emportant sur son dos son père, le vieil Anchise, et tenant par la main son fils, le petit Iule... ancêtre de Jules César. Il l'ignore encore, mais son destin est d'affronter les mers pour fonder en Italie cet empire destiné à illuminer le monde et l'Histoire : Rome. Voyageur, guerrier, amant, Enée a pour mission d'apporter à l'Occident - encore barbare - la civilisation de l'Orient grec. Paul Veyne, traducteur, historien, passeur, a pour mission de restituer la beauté du monde et des oeuvres anciennes. Il y parvient de façon flamboyante. Grâces lui soient rendues!
Enéide, par Virgile, traduit par Paul Veyne, Albin Michel/Les Belles Lettres
en supplément sur L'Enéide