CENTENAIRE PROUSTIEN




                                      

      
L'année 2014 met à l'honneur Marcel Proust pour le centenaire de Du côté de chez Swann.
Les admirateurs de Proust aimeraient pouvoir consulter le site qui reproduirait l'exposition Vermeer du musée du Jeu de Paume, visitée par l'écrivain en 1921. Au XXe siècle, peu de romanciers ont été aussi férus de peinture que le traducteur de Ruskin.
C'est une bonne idée d'exploiter le fait qu'Elstir, le personnage de peintre de La recherche du temps perdu, a été en partie inspiré par Bonnard (1867-1947), quasi contemporain de l'écrivain. Dans sa dernière édition de Du côté de chez Swann, la collection Folioplus classiques, édition pédagogique particulièrement destinée aux lycéens, associe au texte un de ses tableaux, La terrasse de Vernon, achevé en 1928. Sur une toile grand format, Bonnard représente un jardin à la végétation luxuriante longé par la Seine. Un peu comme dans la Vue de Delft, le tableau de Vermeer admiré par Proust au Jeu de Paume peu avant sa mort, un petit pan de mur jaune illumine la scène.
Une analyse détaillée de l'image menée par Agnès Verlet souligne la parenté entre le travail de l'écrivain et celui du peintre. Bonnard, qui a lu La recherche du temps perdu en 1925 seulement, est le peintre de la mémoire et du temps retrouvé. Quel dommage qu'il n'ait pas illustré l'œuvre de son ami !
Car force est de constater que les plus grands illustrateurs ont trop souvent ignoré Proust alors que le livre illustré a connu une renaissance à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Maurice Denis, qui a si magnifiquement illustré Le voyage d'Urien de Gide, paru en 1893, ne s'est pas intéressé à Du côté de chez Swann. Matisse non plus.
Heureusement, Kes Van Dongen a peint de jolies aquarelles pour l'édition Gallimard 1947 du roman. La collection Folio classique en propose six, parmi d'autres, dans un livret d'illustrations offert en complément de la réédition du texte. Des roses et des violets délavés, des touches de vert et de bleu sont les couleurs surannées, choisies par l'artiste pour évoquer l'ambiance décadente des décors mondains de l'intrigue. Une atmosphère oppressante se dégage de ces délicates images.
La préface et les notes de cette édition savante sont dues à Antoine Compagnon, blogueur sur le site du Huffington Post, professeur au Collège de France, auteur de Proust entre deux siècles, volume qui reprend en partie sa thèse. Doit-on tenir Proust pour le dernier romancier d'une grande tradition ou pour le premier des révolutionnaires? D'après Compagnon, c'est dans cette tension que le texte proustien peut le mieux être appréhendé. En comparatiste, le chercheur tire des conclusions pertinentes de la confrontation de Du côté de chez Swann avec Les fleurs du mal de Baudelaire. De manière encore plus stimulante, peut-être, Compagnon trouve aussi du Racine chez Proust. La célèbre phrase que Swann prononce à la fin d'Un amour de Swann pourrait être la dernière réplique de tous les héros tragiques raciniens :
« Dire que j'ai gâché des années de ma vie, que j'ai voulu mourir, que j'ai eu mon plus grand amour, pour une femme qui ne me plaisait pas, qui n'était pas mon genre ! »
S'il s'agit de célébrer l'anniversaire d'un texte classique, tous les rapprochements stimulants sont permis. Bannissons la paresse intellectuelle. Sollicitons -avec discernement- les technologies nouvelles et ayons de l'audace. C'est à cette condition que les chefs-d'œuvre de la littérature demeureront vivants.







Marcel Proust, Du côté de chez Swann, dossier et notes par Olivier Rocheteau, lecture d'image par Agnès Verlet, Gallimard, Folioplus classiques, 2013.

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Marcel Proust, Du côté de chez Swann, édition sous étui avec un livret d'illustrations, présentée et annotée par Antoine Compagnon, Gallimard, Folio classique, 2013.

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