L' ANKOU

L’ANKOU

Chacun d’entre nous peut devenir l’Ankou de l’année! Il suffit de mourir à la Saint-Sylvestre, ou d’être le premier noyé de l’année…

Attention, l’Ankou n’est pas le diable, mais la personnification de la mort en Basse-Bretagne, en quelque sorte son serviteur. La Basse-Bretagne compte le Léon, le Trégorrois, le Cornouaillais et le Bas-Vannetais. Pour faire court, cela correspond au Finistère et à la partie ouest des Côtes-d’Armor et du Morbihan. On y parle toujours la langue bretonne, d’où son autre nom de Bretagne bretonnante !

La Bretagne est sans doute la région de France et du monde où le mystère et le merveilleux sont omniprésents dans son Histoire : légendes des veillées d’autrefois, histoires terribles et émouvantes ancrées dans un patrimoine transmis de générations en générations. Mais toutes nous rappellent combien il nous faut être humbles, car nous serons partis depuis longtemps qu’elles seront encore là…

Sur le Raz de Sein, au crépuscule, paraît parfois un bateau qui navigue sans sillage, toutes voiles dehors contre vents et marées. Il n’a pas d’autre équipage qu’un seul homme, impassible à l’arrière, qui tient le gouvernail. C’est l’Ankou marin en personne, le premier noyé de l’année. Des cris, des appels, une immense plainte, accompagnent son embarcation qui est à la fois très lointaine et très proche. Personne, jamais personne n’a pu l’aborder, c’est le Bag-Noz ou le Bateau de Nuit, qui transporte nuitamment les âmes des trépassés.

Le Bag-Noz est mentionné ainsi dans la chanson évoquant l’île de Sein « Marie-Jeanne-Gabrielle », paroles de Louis Capart :

-Quand le jour s'achève au-dessus de la Grève

Sur la pierre écorchée de l'île

On croit voir au fond de la brume

Comme des feux qu'on allume

Ou la barque ensorcelée

Qui apparaît

Menaçante, elle vient jeter

La peur sur les naufragés

Et le noir habille la vie

Des femmes du pays-

Qui, par miracle, échappe à l’Ankou marin peut trouver sur son chemin l’Ankou des terres…

Représenté souvent comme un homme très grand et très maigre, les cheveux longs et blancs, un large chapeau de feutre noir dissimule son visage, ses yeux sont deux chandelles qui brillent dans les ténèbres de la nuit. Il tient dans la main une faux à tranchant tourné en dehors qu'il lance en avant pour frapper ses victimes et qu'il aiguise avec un os humain.

Il circule la nuit, debout sur sa charrette à deux chevaux dont le grincement des essieux est le pire des présages. Entendre ou croiser le sinistre attelage sont des signes annonciateurs de la mort d'un proche ou de sa propre mort.

Il sillonne les campagnes en faisant pivoter sa tête à sa guise autour de sa colonne vertébrale. Ainsi, rien ne lui échappe. Des pierres lestent la charrette afin de la faire grincer encore plus. Lorsqu'un malheureux est fauché, quelques pierres sont déchargées. Pour cette raison, on dit que lors de veillées mortuaires on entend parfois un bruit de caillasses, c'est l'âme du défunt qui remplace une partie du lest sur la charrette de l'Ankou.

Il ne manque pas de rappeler aux passants la fin à laquelle aucun de nous ne peut se soustraire « La mort, le jugement, l'enfer froid, quand l'homme y songe, il doit trembler ».

Cependant, il n'est pas fondamentalement mauvais, et il lui arrive d'aider les vivants, généralement en les prévenant de leur mort afin qu'ils mettent leurs affaires en ordre avant de mourir. Trop aimable !

Dans chaque paroisse, le dernier mort de l'année devient l'Ankou de l'année suivante.

On nomme la nuit de Noël la « Nuit des Merveilles ». Au cours de cette nuit, durant la messe de minuit, l'Ankou a l'habitude de frôler de sa cape tous ceux qui ne passeront pas l'année. Ainsi, nul ne peut dire qu’il ne savait pas…

Selon Anatole le Braz, dans son recueil de légendes « La Légende de la Mort », quand il y a eu, dans l’année, plus de décès que d’habitude, on dit en parlant de l’Ankou de service « Sur ma foi, celui-ci est un Ankou méchant ! »

Lorsque les embruns fouettent les visages, que les granits se transforment en de gigantesques remparts ruisselants et que le Bag-Noz pousse des cris lugubres et froids, c’est ici, sur les rochers de la Pointe du Raz, que l’Ankou, après avoir quitté momentanément sa barque, aime s’asseoir et regarder la mer se déchaîner et s’ouvrir en symphonie sur les écueils. Un rude labeur l’attend après ce spectacle. Il le sait bien…